Qu'est ce que le digital a modifié dans la formation professionnelle ? Qu'est ce qu'il a apporté de nouveau ? Quels sont les nouvelles méthodes de formation qui fonctionnent le mieux ? Entretien entre Michel Diaz (Féfaur, e-learning Letter) et Barbara Leblanc (Re-sources - le datalab de l'emploi).
Qu'est ce que le digital a modifié dans la formation professionnelle ? Qu'est ce qu'il a apporté de nouveau ?
Michel Diaz : Le digital a modifié les offres de contenus et de services proposées par la formation. La formation était principalement axée sur le "présentiel" qui met en présence le formateur et les apprenants selon un planning prévu longtemps à l'avance pour une durée d'un à plusieurs jours dans un même lieu physique. Le digital a permis à la formation de s'affranchir des lieux physiques (maintenant on peut se former partout) et du planning (on se forme quand on veut) ; la durée des formations s'étant fortement réduite, l'apprenant peut se former ponctuellement pour répondre à un besoin précis : la formation devient continue, elle resserre son lien avec le travail, elle sert la performance opérationnelle au jour le jour. Le digital learning a permis de réduire les coûts de formation partout où il a pu être généralisé. Il ouvre la possibilité d'une formation pour tous, individualisée grâce au volume et à la diversité des ressources disponibles et à l’usage des algorithmes qui permettent d’adapter voire de prescrire la bonne formation à chacun.
Quels sont les nouvelles méthodes de formation qui fonctionnent le mieux d'après vous ?
Michel Diaz : Une formation qui ne serait que digitale serait vouée à l'échec. Cela vaut pour l'auto formation asynchrone, c’est-à-dire la consommation de ressources en ligne (e-learning, vidéo, etc.) seul à son poste de travail ou sur son smartphone ; sauf pour des besoins ponctuels, pratiques (comme un geste simple à accomplir : monter un meuble ou construire un accord de guitare grâce à une vidéo Youtube). On peut certes renforcer l'engagement des apprenants avec une pincée de gamification, mais se former seul trouve rapidement ses limites. Il en va tout autrement si ces ressources servent de support à des interactions humaines permettant à l'apprenant de mieux comprendre et mettre en pratique les savoirs : c'est tout l'enjeu de l'accompagnement où le management va jouer un rôle clé. Les classes virtuelles sont une autre approche (distancielle et synchrone) valable ; on peut alors parler de présence mais virtuelle, de « live »… il y manque toutefois l’épaisseur humaine qu'on trouve dans le cours en salle. Une réserve : la classe virtuelle suppose une administration sans faille et une pédagogie spécifique. Notons enfin que le digital fait une timide apparition dans le cours en salle où il peut être utile en effet si le formateur l'a pensé dans le cadre de sa stratégie de formation, et non comme une concession à l'air (digital) du temps.
Mooc, Spooc, Cooc, Sooc, e-learning....toutes ces offres se valent-elles ? Sont-elles toutes efficaces ou peut-on parler d'un effet de mode ?
Michel Diaz : Les plus mauvais Mooc ne valent pas les meilleurs e-learning qui valent mieux que les mauvais e-learning qui ne valent pas un Cooc (etc.). Sérieusement il n'y a qu'une réponse à la question : à chaque besoin de formation (objectifs, contextualisation profil apprenants, contraintes, etc.), sa solution. Laquelle ne saurait être unique ni isolée, car ce sont en général les combinaisons (recette) de modalités (ingrédients) qui fonctionnent le mieux pourvu que les ingrédients soient de qualité et le cuisinier (architecte blended learning) compétent. Vous avez raison de mentionner les effets de mode : l'offre est pléthorique, elle tente de se différentier, le marketing bat son plein, les enjeux financiers sont considérables car la formation semble un nouvel eldorado. Longtemps déstabilisée, la fonction formation reprend la main : elle est aujourd'hui capable de déterminer la valeur pédagogique des innovations qu’on lui présente, et dont la vacuité de certaines laisse pantois.
Est-ce la fin des formations en présentiel ?
Michel Diaz : Non. Au contraire, on se convainc qu'elles sont plus nécessaires que jamais. Qu'elles soient de moins en moins vues comme le cœur de tout dispositif de formation, mais au contraire une modalité parmi d'autres, leur donne paradoxalement une liberté qu'elles n'avaient jamais eue. Par ailleurs le recul que nous avons après vingt ans de e-learning devenu digital learning, permet d'apprécier toute la valeur distinctive de cette modalité. N'importe quel formateur ou apprenant peut témoigner que "l'expérience présentielle", les échanges et situations proposées n'ont pas d'équivalent dans le digital (qui offre quant à lui d'autres expériences). Mais la formation présentielle doit compter maintenant avec le digital : il serait absurde de ne pas tirer parti de leur complémentarité.
Que pensez-vous des offres de formation gratuites proposées par Google, Facebook ou encore Twitter ?
Michel Diaz : La gratuité n'est qu'apparente. L'apprenant la paye sous forme des données (traces) qu'il laisse dans ces réseaux sociaux, et qui ont vocation à être monétisées. Se former ainsi, c’est leur offrir de nouvelles informations stratégiques (compétences qu’on possède, qu’on veut posséder, domaines et styles d’apprentissage, etc.) étroitement liées à son métier. Pourquoi pas ? Mais il ne faut pas être dupe de cette gratuité. De plus peut-on parler de formation, alors que la dimension d'accompagnement, la formation présentielle, l'ingénierie de compétences en sont largement exclus. Cependant elles peuvent être utiles sur certaines thématiques, notamment en matière de compétences digitales, ou comme compléments d'une formation plus soutenue.
Propos recueillis par Barbara Leblanc pour le site Re-sources - le datalab de l’emploi, édité par le groupe Randstad France)
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